Présentation du satellite Hipparcos
Avant de décrire plus en détail le satellite Hipparcos (dont le nom, outre une référence à l’astronome grec du deuxième siècle avant notre ère, est l’acronyme de HIgh Precision PARallax COllecting Satellite),il semble important de montrer dans quel cadre et dans quels objectifs s'inscrit sa mission.
Catalogues d’étoiles et systèmes de référence astronomiques
Ces deux aspects fondamentaux de l’astrométrie sont profondément liés ; tâchons avant tout de définirce qu'ils représentent.
Les catalogues d’étoiles sont liés de manière tout à fait naturelle à l’astrométrie, en ce sens que les astronomes cherchant à repérer les positions des étoiles ont logiquement eu le besoin de les transcrirepar écrit, aussi bien pour leur usage personnel, qu'à destination des générations suivantes. Mais alors,tout aussi naturellement, se pose à eux le problème de la dynamique céleste : leur objectif est de décrire non pas un système statique présentant toujours les mêmes configurations, mais au contraire un système dont l’aspect change tous les jours. Dans de telles conditions, la nécessité d’un système de référence absolu dans lequel pourrait s'inscrire ces catalogues apparaît clairement.
Malheureusement, la relativité galiléenne nous enseigne que la recherche d’un référentiel absolu est nécessairement vaine. Comme, qui plus est, la mécanique céleste, même en la simplifiant comme composition de mouvements de rotation, est d’une grande complexité, la recherche d’un système de référence s'avère difficile. Enfin, comte tenu des différents systèmes de coordonnées (équatoriales, horizontales, horaires) qui dépendent ou non de la position de l’observateur sur la planète, la réalisation d’un catalogue d’étoiles apparaît comme une mission impossible.
En fait, le problème d’un système de référence peut se résoudre de manières différentes : les étoiles très lointaines, du fait de leur distance, ont un mouvement quasi-nul par rapport à notre planète et conviennent ainsi tout à fait à la réalisation d’un système de référence ; ainsi, la qualité d’un système de référence dépendra essentiellement du choix et de la précision du repérage de ces étoiles. La technique d’interférométrie à très longue base (dite VLBI) permet, en faisant interférer des ondes radios, de déterminer leur position avec une précision de l’ordre du dix millièmes de seconde de degré. L’autre méthode se fonde sur la réalisation de catalogues dits "catalogues fondamentaux", regroupant un "petit" nombre d’étoiles (à l’heure actuelle 1500) dont le mouvement est relativement simple et connu avec précision, et par rapport auxquelles on repère la position des autres astres. Cette méthode présente l’avantage d’utiliser les domaines infra-rouge et visible de la lumière, les plus facilement accessibles enastronomie. D’où, d’ailleurs, une nouvelle difficulté : celle de relier les deux méthodes, de mettre en relation le système de référence dit absolu, obtenu grâce aux ondes radios, et les catalogues fondamentaux, fondé sur le domaine du visible et de l’infra-rouge. Nous verrons que le satellite HIPPARCOS doit permettre de résoudre en partie ce problème.
Il peut être intéressant, à la fois en hommage aux divers astronomes qui seront cités, et dans l’optique d’étudier l’évolution de la précision, de citer les principaux catalogues qui marquent l’histoire de l’astrométrie, et parfois de l’astronomie. Dès le IVième siècle avant notre ère, Aristyllus et Timocharis, deux astronomes d’Alexandrie, repèrent la position de quelques étoiles brillantes. Au IIième siècle avantJ.-C., c'est Hipparque qui constitue un catalogue d’environ 1000 étoiles, dont on pense que celui publiépar Ptolémée en 137 apr. J-C n’est qu'une copie. Un saut de quinze siècles nous amène au dernier catalogue publié avant l’invention de la lunette, celui de Tycho Brahé : les observations de 1005 étoiles faites par le Danois, dont la précision est de l’ordre de la minute d’angle (ce qui est tout à fait remarquable si l’on considère qu'elles ont été faites à l’oeil nu), ont servi de base aux travaux de Képler (dont on connaît l’importance en astronomie). On peut noter aussi les travaux de Edmond Halley (1676) qui recensa pour la première fois environ 350 étoiles australes. Quant au catalogue de John Flamsteed (publié à sa mort en 1725), regroupant 2866 étoiles, il atteint la précision de 10 secondes. La taille des catalogues ne cesse d’augmenter jusqu'au Bonner Durchmusterung de F.W. Argelander (publié entre 1862 et 1883) qui regroupe 457 848 étoiles (en contrepartie d’une précision moyenne de 30 secondes),complété par sa partie australe jusqu'à 614 000 étoiles ! Le premier catalogue d’après observations photographiques, le Cape Photographic Durchmusterung, fournit en 1900 la position de 454 875 étoiles, à la précision moyenne de 6''. Parallèlement, grâce à une carte photographique de l’ensemble du ciel, un catalogue de quelque 5 millions d’étoiles est réalisé sur l’initiative de l’amiral Mouchez. Il convient deconclure en citant les catalogues fondamentaux décrits précédemment : ils atteignent, sur un nombre restreint d’étoiles une précision de l’ordre du centième de seconde (celui en vigueur à l’heure actuelle estle FK5 : Fundamental Katalog n°5, avec une précision de 0,08'' sur 3 000 étoiles).
La révolution Hipparcos
Les objectifs de la mission Hipparcos sont multiples et, reconnus par tous comme primordiaux pour les avancées astronomiques des deux prochaines décennies. Ainsi, avant de développer une description du satellite, nous allons essayer de donner ces principaux objectifs, et de montrer combien les résultatsattendus de cette mission sont importants.
Nous avons déjà évoqué l’un des aspects capitaux du satellite : il s'agit de dresser avec une précision inégalée (0,002'' : ceci revient à distinguer une balle de golf située sur l’Empire State Building de Paris,ou encore de distinguer un homme sur la Lune de la Terre) une carte du ciel comportant quelque 120 000 étoiles. Ceci permettra en premier lieu de réactualiser les catalogues fondamentaux, par un gain en précision et en quantité tout à fait considérable. Mais, plus encore, ces étoiles ont été choisies, du moins en partie, pour permettre de combler les lacunes existant dans le système de passage des catalogues fondamentaux au système de référence absolu déterminé par le VLBI : en effet, par l’intermédiaire d’étoiles émettant à la fois dans les longueurs d’onde du visible et dans les longueurs d’onde radiométriques, Hipparcos devrait permettre de repérer très précisément ces étoiles dans les catalogues fondamentaux, et donc de créer un système fiable pour raccorder enfin ces deux systèmes de références.
Mais plus généralement, Hipparcos doit collecter toutes les informations astrométriques concernant les 120 000 étoiles, dont la sélection fut drastique : il ne se limite donc pas à repérer leur position, mais mesure aussi leur magnitude, et surtout leur distance, et ce, toujours avec un souci de précision inégalée. De telles mesures offrent deux principales ouvertures pour l’astronomie :
- Tout d’abord, avec la mesure des distances, les cartes du ciel acquièrent enfin une troisième dimension qui leur manquait tant ; en effet, tous les systèmes de coordonnées en usage à l’heure actuelle ne se préoccupent que de la position des étoiles, et se contente donc de projeter ces étoiles sur une sphère fictive. Cette troisième dimension est en particulier indispensable pour construire un modèle cohérent de la dynamique galactique. Par ailleurs, la précision dans ces mesures de distances permettra de mettre à jour les distances d’autres étoiles non incluses dans le programme Hipparcos, mais dont les distances sont calculées à partir de distances d’étoiles dont s'occupe Hipparcos. Ainsi, grâce à ces mesures, le volume d’étoiles dont la distance est connue avec précision devrait être multiplié par 125 (et s'étendre ainsi jusqu'à une sphère de 260 années lumières), contenant ainsi 30 000 étoiles au lieu des 7 000 à l’heure actuelle.
- Mais surtout, les étoiles choisies l’ont été presque à chaque fois pour un intérêt astrophysique particulier qu'elles présentaient. Or, la mesure des distances et de la magnitude sont des éléments indispensables pour pouvoir mieux caractériser ces étoiles : à l’aide de telles mesures, on peut déterminer la masse, qui, à l’aide d’analyses spectrographiques, permet de déterminer à son tour toutes les caractéristiques de l’étoile (âge, composition chimique, température, isolée ou en système double, …).
Or, ces mesures, qui présentent déjà un intérêt en soi, sont, qui plus est, autant d’expériences capitales sur les grands problèmes que pose la cosmologie à l’heure actuelle : un calcul précis des masses permettra de mettre à jour la valeur réelle de la fameuse masse manquante (masse nécessaire àla dynamique céleste telle qu'on l’observe) ; de même, on pense que les mesures faites par Hipparcos permettront de réduire l’incertitude sur la célèbre constante de Hubble dont la valeur détermine à la fois l’âge de l’Univers, son avenir ("Big Crunch" ou expansion sans fin), et ses dimensions. Parmi les étoiles choisies figurent les Céphéides, dont la distance sert de base de calcul à la mesure de nombreuses autres étoiles, compte tenu de la relation qui existe entre leur magnitude oscillante et leur distance, de nombreux systèmes binaires (couple d’étoiles, qui tourne l’une autour de l’autre), qui, grâce au calcul de leur période de révolution (et grâce à la troisième loi de Képler), permet de déterminer très précisément leurs masses respectives ; de là vient un nouvel intérêt majeur de la mission Hipparcos : un affinage conséquent de la classification des étoiles (classification qui intervient dans le diagramme Herztsprung-Russell). Enfin, toutes ces mesures compilées doivent permettre (avec cependant quelques réserves) de détecter de nouvelles planètes en analysant le mouvement des étoiles observées (mouvement qui est perturbé en présence de planètes) ! Comme le domaine de la planétologie semble être la nouvelle lubie des astronomes, on conçoit que les résultats d’Hipparcos, s'ils sont à la hauteur des espérances, ne décevront personne. Hipparcos est aussi chargé d’étudier les astéroïdes de la ceinture existant entre Mars et Jupiter, Titan (satellite de Saturne) et Europe (satellite de Jupiter).
Reste à mentionner la mission Tycho (en hommage au célèbre observateur danois), parallèle à la mission Hipparcos proprement dite, qui devrait quant à elle, réaliser des mesures sur un million d’étoiles : ces mesures concerneront leur position et leur magnitude, avec une précision bien sûr moindre (0,02'') que celles effectuées pour la mission Hipparcos. Cette seconde mission complétera la première en ce qu'elle permettra de mieux calculer la précision d’Hipparcos sur les étoiles en commun aux deux programmes, et par ailleurs, d’étendre de manière significative les connaissances sur les magnitudes du million d’étoiles observées, toujours dans l’optique de créer une carte du ciel, sinon complète, du moins cohérente.
Principes de fonctionnement du satellite
Pour répondre aux attentes suscitées par les possibles résultats de la mission, le fonctionnement du satellite est, on l’imagine bien, relativement particulier : le principe de base de celui-ci est un télescope de type Schmidt, de 290 mm d’ouverture (ce qui reste relativement modeste) et de 1 400 mm de focale, dontla principale caractéristique est de pouvoir viser simultanément dans deux directions faisant un angle d’exactement 58° (cet angle ne pouvant normalement pas varier de 0,001'' pendant les 5 ans d’utilisation). Ainsi, le satellite mesurera la distance relative angulaire de deux étoiles modulo 58°.
Cet écartement sera mesuré avec précision grâce à un système de grille couplée à des cellules CCD : la grille d’analyse, constituée de 2 688 fentes de "période" 1''208 (équivalent à 8,2 micromètres) est placée dans le plan focal commun aux deux miroirs séparés de 58° ; dans le champ analysé,recouvrement exact des deux champs observés (dans les deux directions, le champ observé est exactement de 0,9° sur 0,9°), les cellules CDD, sensibles aux radiations de longueurs d’onde comprisesentre 375 et 750 nanomètres, placées derrière la grille enregistrent les fluctuations d’intensité, dues au déplacement des images stellaires (2 étoiles sélectionnées dans le programme d’observation sont, en moyenne visibles dans chacune des directions observées) à travers la grille, et permettent de déterminer exactement le centre de l’étoile au milieu du halo lumineux qui l’entoure, grâce à un décompte des pics de luminosité assuré à la fréquence de 1 200 Hz.
Le déplacement de ces images est assuré par le mouvement de rotation imposée au satellite, qui accomplit un tour autour d’un axe parallèle aux grilles en 128 minutes (soit 167 degrés par heure). Grâce à une rotation de cet axe décrivant un cône de 43° centré sur le soleil, le satellite balaye toute la sphère étoilée, faisant correspondre imperturbablement sur ses grilles les étoiles désignées : le but est ainsi, non pas d’observer quelques couples d’étoiles, mais bien tous (ou presque) les couples possibles. Pour cela, chaque étoile doit passer dans le champ d’observation du satellite de 30 à 80 fois. Ainsi est créé un réseau d’informations très dense, assurant ainsi la création d’un système de référence. Par ailleurs, le "détecteur", couplé à un "déssecteur" dont le but est de délimiter une zone de 38'' de diamètre, analyse la lumière des étoiles, permettant de déterminer leur magnitude jusqu'à une valeur de 12 (cela dit,compte tenu du temps de passage court de ces étoiles dans le champ d’observation du satellite, les mesures réellement précises ne peuvent être réalisées que jusqu'à la magnitude 9, soit environ 75 000 des 120 000 étoiles sélectionnées).
En plus de ce qui constitue l’instrument de la mission principale, le satellite comporte deux "starmappers" (cartographes du ciel) dont l’objectif est à la fois de comparer l’altitude du satellite mesurée par lui-même à celle calculée au sol par reconstruction, et de participer à la mission Tycho, en réalisantles mesures astrométriques et photométriques du million d’étoiles observées. Chaque star mapper (les deux sont strictement identiques) est constitué d’une grille non périodique, placée derrière la grille principale, et de "multiplicateurs de photons" (dont le nom exprime clairement la fonction), qui mesurent la lumière reçue dans deux bandes spectrales (l’une dite bleu, l’autre dans le domaine du visible, caractérisée respectivement par une longueur d’onde efficace de 430 et 530 nm, et une largeur de bande de 90 et 100 nm). La mission Tycho assure un décompte des photons à une fréquence de 600 Hz.
Les mesures effectuées par le satellite sont transmises au centre de l’ESA à Darmstadt, en Allemagne fédérale, à raison de 24 000 bits par seconde (soit l’équivalent d’un livre de 300 pages en 20 secondes).Au total, les 2 000 milliards de bits collectés constituent 1 500 000 équations à 200 000 inconnues, qui doivent être résolues par des ordinateurs de l’université de Bologne.