Satellite Hipparcos, de la théorie à la pratique

Comme on a pu le voir, le programme astrométrique spatial Hipparcos constitue l’un des projets les ambitieux en ce qui concerne l’astrométrie, et même, si les résultats attendus se confirment, en ce qui concerne toute l’astronomie. Cependant, la mise en oeuvre de ce programme fut un exemple (bien involontaire) de la difficulté du passage d’un projet théorique bien "ficelé" à sa réalisation pratique. Comme le côté pratique est l’un des aspects essentiels de la mesure, il convient donc de développer l’historique du satellite, qui s'avérera être plein de rebondissements et qui plus est avec un dénouement heureux ….

Naissance d’un satellite

Comme nous l’avons déjà évoqué, le programme d’astrométrie spatiale Hipparcos est né d’une idée de Pierre Lacroute, de l’Observatoire de Strasbourg (notons tout de suite qu'il en fut récompensé par l’attribution du prix André Allemand, grand prix de l’Académie des sciences pour l’astronomie). Celui-ci présenta donc en 1966 un projet de satellite astrométrique au CNES, qui, compte tenu des possibilités techniques de l’époque, refuse de le soutenir. Jean Kovalevsky (astronome membre de l’Académie des sciences, ancien directeur du CERGA : Centre d’Etudes et de Recherches Géodynamiques et Astronomiques) reprend le projet en 1973 et le présente devant l’ESRO (qui deviendra l’Agence Spatiale Européenne (ESA) ). A la suite d’un accueil plutôt positif par cette instance est organisé en 1974 un colloque visant à définir clairement les objectifs, et qui, réunissant des intervenants et des communications de qualité, contribue à l’intérêt des autorités compétentes.

C'est en 1980 que le projet est définitivement adopté, principalement grâce aux options qu'il ouvre sur les mesures de distances (le satellite permettant en effet des mesures débarrassées des difficultés posées par l’atmosphère), avec un budget alloué de 1,7 milliard de francs (qui sera augmenté par la suite à 2,4 milliards). Mais, pendant les 6 années séparant le colloque de mise en route de projet et son acceptation définitive, celui-ci n’a bien sûr pas stagné : grâce à la coopération des ingénieurs de l’ESA, de Matra et d’Aeritalia, celui-ci s'est considérablement amélioré aussi bien au niveau technique qu'au niveau plus théorique de la définition des objectifs ou de la qualité des mesures. Ainsi, depuis 1966, la précision a été multipliée par 10, et le nombre d’étoiles par 100 ! En particulier, c'est pendant cette période que fut fait le choix d’une orbite géostationnaire dans l’optique de faciliter le calcul des positions.

Une fois le projet adopté, une étape importante est franchie, et pourtant tout reste à faire : il faut bien sûr construire le satellite, mais aussi prévoir les "à-côtés" de son fonctionnement, c'est-à-dire entre autres la préparation du catalogue de données de base fournit au satellite, son lancement, la station de réception de données envoyées par le satellite, et encore les équipes scientifiques qui lui seront rattachées.

C'est le consortium international Mesch, avec en tête de file Matra qui s'occupa de la construction du satellite de 450 kg, comportant, en plus des instruments d’optique, un système de transmission, une protection thermique (25 couches de mylar aluminisé), des sources d’énergie (2 ailes dallées de 9 150 photopiles couvrant 5 m2 et 2 batteries cadmium-nickel d’une capacité totale de 415 Wh), un système orienteur (comprenant 4 gyroscopes, 4 roues à inerties, 3 senseurs solaires et 2 senseurs terrestres), un système moteur comportant 16 éjecteurs (12 créant une poussée de 0,5 N, 4 une poussée de 2N), alimenté par 2 réservoirs (contenant 5 kg d’hydrazine).

Parallèlement à la construction du satellite, un important programme international fut lancé pour sélectionner les 120 000 étoiles auxquelles le satellite devait s'intéresser, parmi les 214 000 étoiles "candidates". Cette sélection fut opérée grâce à une série de simulations numériques, suivie d’une analyse approfondie des sélections obtenues, en tenant compte des étoiles désignées comme prioritaires absolues, de leur facilité d’observation par le satellite, tout en conservant un emploi maximal des capacités d’observation du satellite. Par ailleurs cette sélection devait respecter les conditions de fonctionnement du satellite : le nombre d’étoiles par champ d’observation doit rester limité, la magnitude des étoiles observées doit prendre en compte le temps d’observation à chaque passage, ainsi que l’existence d’un voisin gênant (c'est-à-dire d’une étoile très brillante à proximité qui pourrait fausser les mesures), il faut avoir pour les étoiles sélectionnées une connaissance a priori de la position et de la magnitude, et, en ce qui concerne les systèmes d’étoiles multiples, une distance et une différence de magnitude suffisante doit exister pour être prises en compte par le satellite. Ce travail fut le fruit de la collaboration de 27 observatoires : 12 français, 6 allemands, 3 espagnols, 2américains, 2 suisses, 1 belge, 1 argentin ; la coordination était assurée à l’Observatoire de Paris par Catherine Turon.

C'est ce même groupe de travail qui fut chargé de la compilation, et parfois de l’amélioration, des données accessibles sur les étoiles sélectionnées pour satisfaire aux conditions d’observation du satellite Hipparcos. C'est ainsi qu'un important programme d’observations préliminaires à celles d’Hipparcos fut organisé pour compléter les données manquantes, aboutissant à la publication du "Hipparcos Input Catalog" (catalogue des données d’entrée d’Hipparcos), comportant de nombreuses mesures inédites à la précision de 0,3'', et dont on peut signaler qu'il existe une version sur CD-Rom.

Par ailleurs, l’ESA assura la création de deux groupes pour l’analyse des résultats (il s'agissait notamment de trouver une méthode de traitement de données la plus efficace possible), en associant calculs théoriques et simulations. Les deux groupes constitués comportaient d’une part, dans le groupe Fast dirigé par Jean Kovalevsky à Grasse, 8 organismes italiens, 4 français, 2 allemands, 2 hollandais et 1 américain, d’autre part, dans le groupe Nord dirigé par Eric Hog, 3 organismes danois, 2 anglais et 1 suédois.

Dans un cadre strictement français, le CNRS a crée le GRECO ( Groupement de Recherches Coordonnées Hipparcos) constitué d’équipes du CERGA, du Bureau des longitudes de l’astrophysique, des universités de Lille et de Montpellier et des Observatoires de Paris, Nice, Besançon, Marseille, Strasbourg et Bordeaux.

La mise en route du projet Hipparcos a demandé une coopération internationale scientifique très importante pour pouvoir assurer le lancement du satellite : c'est ainsi que lorsque le 8 août 1989, le satellite se trouve dans la coiffe de la fusée Ariane IV, en compagnie d’un satellite TV-Sat allemand, prêt à être mis sur orbite, toutes les équipes concernées sont fébriles, espérant que le lancement du satellite ne sera que la formalité qu'il aurait du être ….

Vie et mort d’Hipparcos

Hipparcos est-il maudit ? C'est la question qu'ont dû se poser toutes les équipes rattachées au projet, au vu des difficultés que le satellite dut traverser au cours de sa "vie". En effet, en premier lieu, à la fin du compte à rebours habituel, la fusée Ariane pour son 33ème tir refuse de quitter le sol ; après dépouillement des données des calculateurs, une cellule de crise se réunit, analyse l’incident, détecte la gouverne qui n’a pas signalé sa position aux ordinateurs, et autorise finalement une seconde tentative. Finalement, à 23H25 UT, la fusée Ariane décolle avec à son bord ses deux passagers, puis les dépose sur leur orbite de transfert (la fusée ne les dépose pas directement sur leur orbites définitives (géostationnaires), beaucoup trop éloignées de la surface terrestre (36 000 km)).

C'est ainsi que le 10 août à 13 h UT, l’ESA envoie depuis la salle de contrôle de Darmstadt l’ordre d’allumage au moteur d’apogée, afin de faire rejoindre au satellite son orbite géostationnaire : une impulsion de 1, 5 km/s doit suffire. Malheureusement, le moteur "Mage 2" refuse obstinément de s'allumer : 5 tentatives successives ont lieu sans succès ; dans l’espoir de débloquer un éventuel court-circuit, on diminue la vitesse de rotation du satellite, mais rien n’y fait. Il s'avérera que le problème se situait dans la chaîne pyrotechnique destinée à allumer le bloc de 490 kg de poudre du moteur Mage 2 : ce moteur avait pourtant jusque là toujours parfaitement fonctionné, offrant même la sécurité de fabriquer ses moteurs par paire, l’un des deux étant essayé (et donc détruit) au sol ; le double de celui d’Hipparcos avait bien sûr parfaitement fonctionné.

Le 4 septembre, l’ESA décide d’un plan de sauvetage du satellite en relevant son périgée situé à 260 km jusqu'à 450 km en utilisant les propulseurs à propergol liquide, qui assurent normalement le contrôle de l’orbite d’un satellite : ainsi, l’ESA renonce définitivement à placer le satellite sur son orbite géostationnaire initialement prévue, dans l’optique de faciliter les mesures et les calculs ! C'est ainsi qu'à partir du 11 septembre, le satellite se retrouve sur une orbite fortement elliptique (périgée : 450 km ; apogée : 36 000 km). Dans cette période de la vie du satellite, les espoirs concernants les objectifs visés sont faibles, et on évoque déjà la création d’un Hipparcos 2, au sujet duquel l’ESA préfère réserver son avis suivant les résultats obtenus dans les premiers mois.

En fait, le satellite a effectivement beaucoup d’obstacles à franchir sur cette nouvelle orbite : inutilement chargé par les 500 kg de poudre du moteur qui n’a pas fonctionné, il doit en plus régulièrement traverser les ceintures de Van Allen, surabondantes en particules très énergétiques et qui abîment les panneaux solaires du satellite. La nouvelle orbite met ainsi à rude épreuve les batteries du satellite : compte tenu du temps d’éclipse par orbite (30 minutes), l’orbite effectuée en 10h30 (au lieu de 24h) ne laisse que 10h aux batteries pour se recharger entre 2 éclipses au lieu des 23h30 prévues ! En outre, lors des passages à basse altitude, les observations deviennent impossible, ce qui implique une nouvelle perte de temps, et donc une durée de mission nécessairement plus longue, alors que le satellite se trouve dans des conditions de vie tout à fait défavorables. Pis encore, compte tenu de la configuration céleste, le satellite doit traverser au mois de mars-avril 1990 des éclipses de près de 2h! Enfin, l’orbite n’étant plus géostationnaire, la station de Darmstadt ne suffit plus pour recevoir les données en continues, ce qui nécessite l’ouverture de trois autres stations ( en Australie, en Guyane et en Californie), et donc des frais supplémentaires …

Et pourtant … Malgré toutes ces difficultés, au fil du temps, le satellite manifeste une résistance extraordinaire aux variations de tension, aux expositions prolongées aux particules des ceintures de Van Allen, aux éclipses répétées, aux éruptions solaires . Mieux encore, les instruments embarqués s'avèrent fonctionner mieux que prévu, et le satellite a, du fait de sa surcharge, une plus grande stabilité ! De 5 ans tout d’abord exigés pour la réalisation complète du programme du fait de la mauvaise orbite, 4 ans apparaissent finalement comme suffisants.

Et c'est ainsi que, lorsque le 15 août 1993, Hipparcos "meurt" au bout d’une vie trépidante, la mission qu'il devait accomplir a été remplie à 100%, et apparaît ainsi comme un succès absolu : Hipparcos est-il béni ?

Les premiers résultats (cette partie n’est pas à jour @@@)

Les premiers résultats officiels sont en instance d’être publiés, cependant quelques résultats et des promesses ont déjà pu filtrer : ils sont de très bonne augure sur le succès d’Hipparcos.

Ainsi, Hipparcos a déjà fourni des corrections importantes sur les mesures faites au sol : il apparaît alors que près de 30 % des étoiles qu'on estimait positionnées dans une sphère de 25 parsecs se situent en fait au-delà de cette sphère. En particulier, certaines Céphéides, qui servent de référence aux calculs d’autres distances, seraient plus lointaines que ce que l’on avait mesuré sur Terre. De même, la précision dans la mesure des positions a permis d’effectuer des corrections parfois très importantes, en particulier en ce qui concerne l’hémisphère sud.

Par ailleurs, Hipparcos a pu identifier des centaines de systèmes d’étoiles doubles, jusqu'ici inconnus, prometteurs pour ce qui concerne les calculs des masses.

Enfin, et de manière plus anecdotique, Hipparcos a contribué à la découverte d’une minuscule lune de 1,5 km de diamètre autour de Ida, astéroïde de 56 km de diamètre : en fait, c'est la précision des éphémérides réalisées à l’occasion des programmes préliminaires à Hipparcos, qui a permis à la sonde Galiléo de découvrir cette lune. Un même travail sur les éphémérides a été possible pour étudier la collision de la comète Shoemaker-Levy avec Jupiter.

Mais à n’en pas douter, le plus important reste à venir …